Ça y était, encore, elle était en colère. Pourquoi ? Allez savoir.
Moi qui la connaissais douce la majorité du temps, je savais pertinemment que ses colères étaient des plus dures. Je la haïssais quand elle faisait ça. Je n’y comprenais rien. Je ne savais pas pourquoi, mais je savais quand et je savais comment.
D’abord elle entrait dans une pièce, renversant quiconque et quoique ce soit sur son passage et en psalmodiant des horreurs… alors que cinq minutes avant elle ne disait rien et ne bougeait pas un cil. À ces instants ce n’était pas le moment de lui demander un service ou une autorisation.
La réponse était non.
Quand elle était en colère la peau de son visage s’empourprait quasi instantanément – particulièrement ses joues qui devenaient rouge sang. Son cou, lui, était parsemé de points et de plaques rosées. En réalité, lorsqu’on l’observait du cou aux pommettes, les stigmates de sa colère étaient de plus en plus intenses. D’ailleurs, lors de ses plus grands emportements, on pouvait même distinguer des veinules bleutées, dont les vaisseaux ont explosés avec la pression.
Sa rage – due peut-être à l’agacement de méfaits ultérieurs – la rendait exécrable. Mais cette crise tombait mal, il me fallait une autorisation pour ce soir et mon père ne prenait jamais aucune décision.
Elle avait les mains posées sur sa tête rousse, ses doigts crispés enserrant ses cheveux et ses yeux noirs exorbités. Le tout ajouté à son visage, on aurait dit une tomate coiffée d’une carotte. Elle regardait partout, devenait de plus en plus exaspérée et de plus en plus exaspérante.
Enfin, son corps – meurtri par quarante années de vie et quatre enfants – resta statique une seconde. Ses bras – comme alourdis par le poids d’un épuisement quelconque – tombèrent le long de son corps. Son visage s’apaisa puis reprit presque sa couleur normale.
Elle se tourna vers moi.
Elle me regarda, me sourit même, d’un air si sadique et froid que je pris peur de mère, pour la première fois. Elle posa un pied dans ma chambre et me dit enfin, d’un ton sarcastique : « Je connais tes projets, tu connais ma réponse. »
Elle me tourna le dos – l’air satisfait – et s’en alla. J’avais tout intérêt à saisir la perche qu’elle me tendait. Je me levais donc de mon lit. Cette soirée était capitale pour moi.
Alors oui ! Au bout de deux semaines de sursis, il était enfin temps pour moi de ranger ma chambre.
Œuvre d’adolescence