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Bonjour à tou.te.s 🙂,
Le château de Hurle de Dianna WYNNE JONNES est le premier tome de la trilogie de Hurle :
Des films réalisés par Hayao Miyazaki, Le Château ambulant fait partie de mes préférés. Mon favori reste Mon voisin Totoro… mais Le Château ambulant le suit, en ferme concurrence avec Le voyage de Chihiro. Quoique… Kiki la petite sorcière et Souvenirs de Marnie (qui en réalité n’est pas de Miyazaki, mais de Hiromasa Yonebayashi)… sans oublier Le royaume des chats (même si c’est un film de Hiroyuki Morita), Mes voisins les Yamada et le magnifique film Le tombeau des lucioles (qui pour le coup, sont tous les deux d’Isao Takahata)… Bref ! Dur dur d’évaluer mon attrait parmi les films des Studios Ghibli. À peu de choses près, je les aime tous. Hormis Pompoko (d’Isao Takahata) et Princesse Monoké (de Hayao Miyazaki), que je trouve trop violents pour ma sensibilité et Les contes de Terremer (de Goro Miyazaki) dont l’histoire m’échappe (et c’est pour ça que j’ai acheté l’intégrale des contes d’Ursula K. Le Guin), les films des Studios Ghibli (même ceux pour les petits) me plaisent beaucoup. C’est ça d’être restée une sale gamine 😜😇.
C’est pourquoi, après Souvenirs de Marnie de Joan G. Robinson, je me suis penchée sur La trilogie de Hurle écrite par Dianna Wynne Jones dont le premier tome a inspiré Le Château ambulant à Miyazaki.
Couverture du livre
Sophie, l’aînée des trois filles d’un chapelier (qui n’était fou que de ses filles) du village Marché-aux-Copeaux de la contrée d’Ingarie, doit hériter de la chapellerie à sa majorité. Fanny, sa belle-mère, découvre à la mort de son mari la situation financière désastreuse dans laquelle le défunt a laissé sa famille. Elle garde donc Sophie comme apprentie et envoie ses deux autres filles en apprentissage ailleurs. Lettie, la cadette, ira à la boulangerie-patisserie Césari et Martha, la benjamine, se rendra chez Mme Blondin, une amie sorcière. Aucune n’apprécie les directives de Fanny, mais elles acceptent toutes (un peu trop facilement). Sophie accepte son sort et travaille sans relâche jusqu’à une rencontre imprévue.
Je me retrouve beaucoup dans Sophie. Elle se résigne à son sort, tout en se berçant du doux rêve d’une vie plus… vivante. Et c’est la peur au ventre, qu’elle finit par sortir de chez elle, pour rendre visite à Lettie.
Cette nuit-là, alors qu’elle cousait, Sophie s’avoua qu’elle trouvait sa vie assez ennuyeuse. Plutôt que de parler aux chapeaux, elle les essaya tous alors qu’elle les terminait et s’admirait dans le miroir. C’était une erreur. La robe grise toute simple n’allait guère à Sophie, d’autant qu’elle avait les yeux rouges à force de coudre. Et comme ses cheveux étaient roux, ni le vert chenille ni le rose ne convenaient non plus. Et le bonnet à la doublure champignon la rendait tout simplement affreuse. Comme une vieille fille ! se dit-elle. Non qu’elle voulût partir avec des comtes, comme Jeanne Farrier, ou même voir la moitié de la ville demander sa main, comme Lettie. Mais elle voulait faire quelque chose – de cela, elle était sûre – d’un peu plus intéressant que de décorer des chapeaux. Elle se dit qu’elle trouverait un peu de temps, le lendemain, pour aller en parler à Lettie.
Mais elle n’y alla pas. Soit qu’elle ne trouvât pas un instant, soit qu’elle manquât d’énergie, soit que la distance jusqu’à la place du Marché lui semblât trop grande. Ou bien se souvient-elle que seule, elle pouvait devenir la proie du mage Hurle ; quoi qu’il en fût, chaque jour il lui semblait plus difficile de partir voir sa sœur. C’était très curieux. Sophie s’était toujours crue plus entêtée que Lettie. Et soudain, elle découvrait qu’il lui fallait arriver à court d’excuses pour pouvoir faire certaines choses. C’est absurde, pensa-t-elle. La place du Marché n’est qu’à deux rues d’ici. En courant… Elle se jurait de se rendre chez Césari quand la boutique de chapeaux serait fermée, le 1er Mai.
[…]
Vint le 1er Mai. Les réjouissances occupèrent les rues dès l’aube. Fanny sortit tôt, mais Sophie avait quelques chapeaux à finir d’abord. Elle chantait en travaillant. Après tout, Lettie travaillait aussi. Et Césari restait ouvert jusqu’à minuit, les jours fériés. J’irai acheter un de leurs gâteaux à la crème, décida-t-elle. Je n’en ai pas mangé depuis bien longtemps. Elle regardait la foule passer devant les vitrines, dans toutes sortes d’habits aux couleurs vives, et des gens vendant des souvenirs, d’autres marchant sur des échasses. Tout cela l’excitait grandement.
Mais quand elle put enfin passer un châle gris sur sa robe de même couleur et sortir dans la rue, ce n’était plus de l’excitation qu’elle ressentait. Elle se sentait submergée. Il y avait trop de fêtards courant, riant, hurlant, trop de bruit et de bousculade. Sophie avait l’impression de s’être transformée en vieille femme, ou en semi-invalide, à force de rester assise à coudre pendant des mois. Elle referma son châle sur elle et se rapprocha des maisons, essayant d’éviter de se faire marcher dessus par des chaussures du dimanche ou de se prendre des coups de coude dans des manches de soie. Puis une volée de détonations éclata au-dessus d’elle, quelque part, et Sophie crut qu’elle allait s’évanouir. Elle leva la tête et vit le château du mage Hurle. Il se dressait sur la colline surplombant la ville, si proche qu’il paraissait installé sur les cheminées. Ses quatre tourelles crachaient des flammes bleues, des boules de feu qui explosaient bruyamment tout en haut du ciel. Les festivités du 1er Mai semblaient offenser le mage. Ou peut-être voulait-il seulement y participer à sa manière. Sophie était trop terrifiée pour s’en soucier. Elle serait bien rentrée chez elle, mais elle avait déjà parcouru la moitié du chemin jusqu’à la boutique de Césari. Elle courut donc.
Pourquoi diable voulais-je une vie intéressante ? se demanda-t-elle en avançant. J’aurais bien trop peur.
Extrait est un peu long, mais il faut bien ça pour décrire ce genre de personnalité
Une vie fade, mais rassurante qui se déroule, sans convenir à tou.te.s les peureu.x.ses qui se reconnaîtront dans cet extrait. Les rêves c’est beau, on n’y risque rien. La réalité est bien plus imprévisible. Surtout quand, quelques lignes plus loin, elle est accostée par un homme d’une vingtaine d’années, qui la surnomme petite souris en référence à sa robe grise. Terrifiée, Sophie part en courant encore plus vite jusqu’à Césari.
En rentrant de sa visite, elle reçoit celle de la sorcière des Steppes. Cette dernière lui jette un sort pour la punir d’avoir osé interférer dans ses affaires. Sophie, qui ne comprend rien, tente en vain de lui expliquer qu’elle a dû se tromper de personne et se voit perdre 60 années de sa vie. D’un coup.
Elle « profite » de l’occasion pour quitter la chapellerie (sans prévenir personne) et partir faire fortune. En chemin, elle rencontre un épouvantail avec un navet bientôt flétri en guise de tête, qu’elle replante en lui souhaitant une nouvelle vie, et un petit chien coincé dans un fourré accroché à une canne. Elle le libère. Il s’enfuit. Elle récupère la canne. Puis…
En fin de journée, elle croise le chemin du château mobile et lui intime de la laisser entrer. Une fois la porte trouvée, elle se glisse à l’intérieur et rencontre Michael, l’apprenti du mage Hurle… qui n’apprécie pas son intrusion, mais la laisse attendre le retour de Hurle, assise dans un fauteuil près du feu… Calcifère.
Au milieu de la nuit, Sophie fut réveillée par des ronflements. Elle se leva d’un bond, vexée de comprendre que c’était elle la ronfleuse.
Avant le retour du mage, Sophie s’entend avec Calcifère (le démon du feu). Elle l’aidera à casser le contrat qui le lie au mage Hurle et il cherchera par la suite un moyen de lui faire retrouver son âge réel. D’après Calcifère, trois semaines suffiront. Il ne lui reste donc plus qu’à trouver une raison de squatter le château durant trois semaines.
Vu l’état des lieux, celle-ci se présente comme la nouvelle femme de ménage au retour de Hurle. Malgré le fait qu’il n’estime pas en avoir besoin, il ne la chasse pas de chez lui. Au grand damne de Michael, qui ne supporte pas la période nettoyage de printemps.
Hurle grogne également beaucoup après elle. Il préfèrerait qu’elle se tienne tranquille, qu’elle se repose, compte tenu de son grand âge. Mais au lieu de ça, Sophie ne cesse de s’activer et fatigue tout le monde.
(Alors que Sophie s’apprête à nettoyer la terrasse et que Hurle le lui interdit)
« Bien sûr que vous détestez vous mettre en colère, rétorqua-t-elle. Vous n’aimez rien de déplaisant, n’est-ce pas ? Vous êtes un glissant ! Un fuyard ! Vous vous faufilez pour éviter tout ce que vous n’aimez pas ! »
Hurle lui adressa un sourire forcé.
« Eh bien, maintenant nous connaissons chacun les défauts de l’autre. Aller, rentrez dans la maison, à présent. Allez ! Rentrez ! »
Il avança vers Sophie, la repoussant en direction de la porte. À force de moulinets de bras, sa manche s’accrocha à une pointe de métal. Elle se déchira.
« Damnation ! gronda le mage en essayant de rattraper les lambeaux bleu et argent. Regardez ce que vous m’avez fait faire !
— Je peux la repriser », dit Sophie.
Hurle lui adressa un regard vitreux.
« Et c’est reparti. Comme vous devez aimer la servitude ! »
La vie continue donc au château, avec une nouvelle habitante qui, lorsqu’une cliente passe chercher un sort, se vente d’être « la meilleure et la plus propre des sorcières en Ingarie. »
Sophie ricana sous cape, ne regrettant rien. Peut-être le balai qu’elle maniait avec entrain lui avait-il mis des idées dans la tête. Mais cela pourrait persuader Hurle de la garder, si tout le monde pensait qu’en effet, elle travaillait pour lui. C’était étrange. Jeune fille, Sophie aurait frissonné à l’idée de se comporter comme cela. Mais en tant que vielle femme, elle se fichait assez de ce qu’elle pouvait dire ou faire. Cela lui sembla être un grand soulagement, une libération.
Ce passage me fait sourire. Je n’ai pas été victime d’un sort, je n’ai pas encore 80 ans, mais je me retrouve dans son état d’esprit. Plus jeune, je ne me permettais rien. Comme Sophie dans le livre, je ne savais pas estimer ma place, alors je n’osais pas. En prenant de l’âge et en expérimentant la vie, je me suis rendu compte que j’avais autant le droit que n’importe qui de m’exprimer, de faire des blagues et/ou des erreurs. Sophie vit presque la malédiction de la sorcière comme une bénédiction. Car elle ressemble enfin à ce qu’elle pense d’elle et s’en sent soulagée. D’ailleurs, beaucoup plus tard, dans le livre, Hurle le lui fait remarquer :
(en parlant de son apparence de vieille femme)
« J’en suis venu à la conclusion que vous aimiez ce déguisement.
— Déguisement ? » s’étrangla Sophie.
Hurle se moqua d’elle :
« Ce doit en être un, puisque vous le faites vous-même. »
Michael, Calcifère et Hurle apprennent donc à cohabiter avec Sophie, qui est loin d’être la seule victime d’un sort dans cette histoire… mais si j’en disais plus, je spoilerais.
Il y a un dernier passage que j’apprécie, parce que là aussi je m’identifie au personnage (même s’il est question de Hurle).
« Pourquoi avoir fait semblant de fuir ? Pour tromper la sorcière ?
— Même pas ! avoua-t-il. Je suis lâche. Le seul moyen pour moi de me lancer dans une affaire aussi effrayante, c’est de me dire que je n’irai pas ! »
C’est ce que je me dis chaque fois que la peur de me lancer m’envahit. La pression tombe et une fois au plus bas, je peux reprendre mon chemin. Mais ne le disons pas trop fort… je pourrais bien finir par m’en apercevoir 🤣.
Je suis loin, très loin, d’avoir raconté toute l’histoire dans ces quelques lignes. J’ai surtout présenté les personnages principaux selon des critères de personnalité qui ont fait écho en moi. L’aventure est au rendez-vous. Si au début le Château ambulant et le Château de Hurle se ressemblent beaucoup, très vite les deux histoires prennent des chemins complètement différents. Je ne pourrais pas dire opposés. Ils sont simplement différents, mais tout aussi passionnants. La preuve, je l’ai lu deux fois plus vite que prévu et je n’ai pas pu m’empêcher de le lire deux fois d’affilée.
Petite anecdote (l’avez-vous notée ?) : Au début du film de Miyazaki, une des personnages informe les femmes dans la boutique de chapeau que Martha, la fille qui habite près du port se serait fait arracher le cœur par Hauru. C’est un clin d’œil à la demi-sœur de Sophie, car dans le film Sophie n’a que Lettie.
Pour info : La trilogie de Hurle, comme son nom l’indique est composée de trois tomes. Mais seul le premier a inspiré le Château ambulant.
Bonne semaine et bonne.s lecture.s (écoute.s) 😘